Le tricot dans l’histoire épisode 3

Article publié le 29juin 2012 sur notre blog Gazouillis et cie 

Le tricot se diffuse en Europe

La technique du tricot, due donc probablement aux Coptes, gagne les pays du monde islamique via les conquêtes des Arabes : la Syrie en 632, Jérusalem en 635 – ce qui va provoquer les Croisades, l’Égypte en 640, le Maghreb en 647 ; ils montent ensuite vers le Portugal et l’Espagne en 711, la Sicile en 720, la France où comme chacun sait ils sont arrêtés à Poitiers en 732, les Maures restent en Espagne jusqu’en 1492.

▲à g : Gants liturgiques épiscopaux dits de Saint Rémy, en soie blanche tricotée ;

ils comportent une plaque circulaire d’argent ciselé et doré cousue en son centre, abbaye basilique Saint-Sernin sur Culture.fr

▲Paire de gants liturgiques épiscopaux, en soie et bande d’argent, tricotés main,
Espagne, XVIe siècle, Victoria & Albert Museum, Londres

On admet qu’au Xe siècle, le tricot s’est répandu dans toute l’Europe. Toujours selon Irène Turnau, l’unification culturelle des pays chrétiens va participer à sa diffusion dans les pays européens. Religieuses et artisans tricotent pour les églises. Le développement du tricot est accéléré par des prescriptions liturgiques qui apparaissent en 785. Elles imposent aux évêques et prêtres de porter, pendant la consécration du pain et du vin pendant la messe, des gants non cousus, bien ajustés aux doigts. Ils sont d’abord tricotés en soie naturelle ou blanche, puis colorée, souvent en rouge, jamais en noir. Les premières mentions de gants liturgiques spécifiques datent du Xe siècle ; les plus anciens qui nous sont parvenus en France sont conservés à la basilique Saint-Sernin à Toulouse, ils datent du XIIIe siècle et témoignent du haut niveau technique de tricotage à la main de l’artisan bonnetier qui les a réalisés.


▲Chausses et souliers dits de Saint Germain, abbé de Moutiers-Grandval,
près de Délémont (Suisse), photo Musée jurassien, Délémont,
dans Histoire du Costume de François Boucher p. 159.
Ces gants liturgiques sont conservés dans les trésors des églises et des cathédrales du bas Moyen Âge, ils sont mentionnés dans les textes dès le IXe siècle. On y trouve aussi de nombreuses bourses et petits sacs tricotés en rond et en jacquard avec des fils de soie pour déplacer et accueillir les reliques de saints. En Suisse sont conservés des bas et jambières tricotés entre le VIIe et le IXe siècle.


▲Housse de coussin mortuaire de Fernando de la Cerda (1255-1275)
monastère Santa María la Real de Huelgas, près de Burgos (Espagne), vers 1275 sur L’Ost du Dauphin
On peut voir une reconstitution de ce motif sur le site de Susanna von Schweissguth

On ne manque pas de citer aussi les housses de coussins tricotées, datant des XIIe et XIIIe siècles, provenant des tombes royales du monastère Santa María la Real de Huelgas, fondé par le roi Alphonse VI de León et de Castille pour abriter le mausolée de sa famille. Le plus ancien, pourpre, or et blanc, entièrement tricoté au fil de soie et point jersey très serré (80 mailles pour 10 centimètres carrés), placé sous la tête du prince Fernando de la Cerda, mort à vingt ans en 1275 est intact. Les motifs en jacquard à fils tirés représentent des fleurs de lys et des aigles encastrés dans des losanges sur une face, des châteaux à trois tours (ceux qui ont donné leur nom à la Castille) et des rosettes dans des octogones sur l’autre face. Il est bordé de glands verts un peu abîmés aux quatre coins et d’une lisière où se répète le mot barakah [en arabe : bénédiction], cette inscription atteste l’origine arabe de ces coussins.

▲Vierge tricotant une petite robe pour l’enfant Jésus avec quatre aiguilles,
par le Maître Bertam von Minden,
volet droit du retable de l’autel de la Sainte Vierge à l’église de Buxtehude (Allemagne)
vers 1400-1410, sur Wikimedia Commons
Tricoter avec quatre aiguilles n’est pas courant en Allemagne à cette époque, Maître Bertam a séjourné en Italie avant de réaliser ce retable,
il y a vraisemblablement découvert cette méthode.

Dès le XIVe siècle, la technique du tricot s’est fortement répandue en Europe du Sud et dans certaines villes allemandes autour de la Baltique. La peinture la montre avec précision en représentant des madones dites « au tricot ». Le tricot se fait en rond, sur un jeu de quatre ou cinq aiguilles, probablement métalliques, non crochetées, tenues par les paumes, le fil dans la main droite. De fait les tricoteurs utilisent alors de deux à cinq aiguilles pour tricoter des fils de coton, de soie ou de laine, ils pratiquent déjà le jacquard.

Parallèlement à cette évolution de la technique dans l’Europe méridionale, vers le Xe siècle, colportée par les envahisseurs normands, l’usage de tricots en grosse laine, exécutés au crochet ou sur de grosses aiguilles en os ou en bois, s’est introduit dans le Nord de l’Europe : Norvège, Finlande, Islande, îles anglo-normandes et plus généralement toutes les régions de culture celte. Des fouilles archéologiques en Lettonie, Pologne et certains pays scandinaves l’attestent.

Ce sont donc l’expansion de l’Islam, les invasions normandes, les Croisades, le commerce et les conquêtes qui permettent la diffusion de la technique du tricot. On raconte que les marins espagnols de l’Invincible Armada, naufragés sur les côtes des Îles Orcades et des Îles Shetland en 1588, auraient enseigné l’art du tricot aux pêcheurs autochtones. On dit aussi que les Conquistadores auraient appris à tricoter à l’Amérique du Sud, hypothèse aujourd’hui remise en question. L’histoire du tricot se construit au fur et à mesure des trouvailles et solutions techniques individuelles et locales, elle se prête mal aux généralisations. A chaque fois, le tricot s’enrichit des cultures et des traditions des peuples qui le découvrent.

Pascale

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